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L’ARTISTE – PHILOSOPHE – PENSEUR

INTRODUCTION

L’histoire et la vie de Zanis Waldheims, sort des cadres  de référence normaux que nous avons pour juger de la vie des gens sans histoire. C’est dans le domaine de l’écriture, du langage et de la pensée que ce Letton d’origine a accompli ses grandes découvertes et qu’il a abouti - en utilisant symboliquement la géométrie – sur un langage des langages pour analyser et décortiquer les textes de ceux qui prétendent êtres capables de définir ou d’expliquer avec des mots ce qu’est le phénomène humain. 

Là où Waldheims se démarque par rapport aux penseurs qui ont exploré ce domaine avant lui, c’est qu’il approche le langage en ajoutant au cognitif ou à l’intellect - l’œil; la sensibilité – comme quoi l’un ne va pas sans l’autre. C’est  généralement à partir de cinq petits signes, qu’il défait le maillage du langage pour en extirper le sens. C’est avec cinq petits signes (le carré □, le cercle ○, le losange ◊, le cercle inversé et les axes X et Y +) qu’il caractérise les mots pour leur donner une valeur qui peut être extensive, intégral ou intensive. Une valeur extensive est illustré par le carré ou le cercle; une valeur intégrale par le losange; et une valeur intensive par le cercle inversé ou les axes X et Y.

Ce penseur est malheureusement décédé à l’âge de 83 en 1993 complètement inconnu du public avant d’avoir pu compléter son œuvre multidisciplinaire. Ce n’est pas qu’il n’a pas cherché de son vivant de percer avec ses idées "avant-gardistes" - sur ce qu'il appelait "la pensée sur la surface", mais que le temps lui a tout simplement manqué pour parfaire sa théorie finale entreprise en 1991 et qu'il avait intitulée « La Géométrisation de la Pensée Exhaustive ». Cette théorie devait être la  pierre de lance de son œuvre plastique et philosophique. 

Plusieurs aspects rendent fascinante la vie et l’histoire de ce personnage, par exemple : qu’il s’est lancé dans cette aventure à l’âge de 43 ans, à un âge où normalement les gens sont confortablement installés dans leur routine quotidienne; de constater également qu’il était un immigrant arrivé au Canada sans le sous en 1952 et qu’au lieu de chercher à faire fortune en Amérique comme plusieurs de ses compatriotes, il s’est lancé dans une recherche pour « sauver le monde du désastre » tant il était convaincu que l’humanité allait vers une tragédie encore plus grande que la dernière guerre qui venait à peine de terminer; de constater finalement que les raisons profondes qui l’avaient mené dans ce domaine du langage et de la pensée, venaient de son passé européen, à savoir qu’il était extrêmement révolté des conclusions de la deuxième grande guerre mondiale quand les alliés (Américains et Britanniques) acceptèrent de diviser le monde en deux en laissant d’un coté une Europe libre et démocratique; et de l'autre, une Europe livrée à des dictatures communistes sous le joug de Moscou;  et finalement, chose qui dénote un grand courage dans le parcours d’un individu, c’est qu’il a consacré dix années de sa vie à plein temps à chercher à théoriser ses découvertes faites dans le domaine du langage et de la pensée.

Pour trouver une réponse à l’extrême « démence » qu’il éprouvait à l’égard des politiciens de l’époque, il s’est lancé corps et âme dans une aventure intellectuelle qui l’a mené dans des sentiers que très peu d’humains avaient exploré avant lui. Sa soif de comprendre la déraison des humains le mena – heuristiquement – dans le domaine de l'abstraction géométrique, qui fut pour lui si on veut, l’outil qui lui a permis de se guider dans la jungle que sont les idées exprimées par des mots. Ce domaine - de l’abstraction géométrique - n’avait été exploré avant lui – avec des succès mitigés - que par très peu de penseurs en sciences humaines, de même que par quelques artistes y voyant une piste d’exploration à leur champ de recherche plastique dont principalement le travail de W.Kandinsky, K.Malevitch et P.Mondrian, domaine qui s’est orienté après eux finalement dans une forme de lyrisme abstrait qui a sonné le glas aux idéaux de base énoncés par Kandinsky. 

Mais ce qui épate et rend cette oeuvre intéressante par dessus tout dans l’histoire universelle de ces personnes passionnées par l’humain, c’est qu’il a débouché sur une véritable abstraction géométrique; sur un art véritablement abstrait qui a son dictionnaire des formes, son langage, sa syntaxe, ses règles - comme quoi un jour beauté et pensée devaient se rejoindre – sans négliger l’extraordinaire production artistique de ses 600 œuvres abstraites dans un kaléidoscope de couleurs et de formes géométriques d'une parfaite symétrie. 

Ce dictionnaire des formes, ce langage, cette syntaxe, ces règles élaborées par Waldheims sont d’ailleurs ironiquement ce qui aurait tué l’abstraction géométrique naissante chez les artistes qui s’y sont  aventurés, car elle leur imposait une certaine forme de conditionnement à la créativité des artistes habitués à une intuition non réglementée, tandis que chez Waldheims, non seulement y a-t-il une créativité basée sur sa propre intuition, mais son intuition est alimentée par le jeux des textes et des livres des nombreux chercheurs qui ont essayé  de décrire le phénomène humain. Waldheims y capte les structures profondes, invisibles et universelles du langage et de la pensée dans une forme d’art géométrique.

Mais Waldheims pousse la réflexion encore plus loin, car son art ne se veut pas du tape à l’œil ou de l’érudition stérile. Son œuvre pousse la conscience à s’interroger sur la validité de ce qui est écrit; elle touche directement le domaine de la philosophie et de l’éthique pour amener l’individu à penser plus globalement; à structurer sa pensée en fonction d’idéaux universelles qui sont le contraire du dogmatisme idéologique ou de l’acceptation pure et simple de ce qui est dit ou écrit. Le contraire de la lâcheté du cerveau.

BRÈVE BIOGRAPHIE

Zanis Waldheims naît le 19 septembre 1909 dans la ville de JAUNPILS dans la province de ZEMGALE en LETTONIE, d’un père (Ernest Waldheims (1881-1935)) dont les parents étaient d’origines polonaises et dont le nom finissait par . . . SKY et d’une mère (Pauline Kakstins (1886-1954) de souche lettone et née dans la ville de Listen. Les parents de son père seraient morts alors qu’il était enfant et resté orphelin, son père fut adopté par un baron allemand qui portait le nom de Waldheims d’où il tire l’origine de son nom de famille qui en letton s’écrivait WALDHEIMA. Une sœur morte jeune précédait Zanis et son frère jumeau Alfred. Il avait aussi un frère cadet (Elmars) qui est mort d’une pneumonie en bas âge lors de la Révolution d’Octobre en Russie quand ils furent hébergés à St-Petersbourg chez leur oncle communiste qui côtoyait l’élite révolutionnaire de l’époque. Alfred meurt vers l’âge de quatorze ans d’une commotion cérébrale (1923), Zanis reste donc le seul enfant vivant. Son père travaille comme journalier à la ferme et dans la construction. Il sera enrôlé lors d’une conscription et ira à la guerre de 1914-1918 d’où il en sortira complètement démoli. Sa mère travaillera dans les casernes de l’armée allemande pour faire vivre la famille pendant que le père est à la guerre. C’est la famine qui règne. Après la guerre son père retournera travailler à la reconstruction du pays ruiné. Son père fut obligé de retourner à la guerre entre 1919 et 1920, période à laquelle la Lettonie gagnera son indépendance.

Zanis termine ses études secondaires vers l’âge de 23 ans. Il travaille comme géomètre et arpente le pays pour le département des forêts du gouvernement Letton. Il entreprendra des études le soir pour pouvoir entrer à l’université de Riga et faire son droit où il obtiendra son baccalauréat en 1944. Il fait son service militaire en 1932 et se mari en 1938 avec une infirmière lithuanienne (Irene Migla). Ils auront deux enfants, une fille (Valda , 1938- ) et un fils (Uldis, 1942- ).  

Arrive la seconde grande guerre en septembre 1939 et les communistes occupent sauvagement les pays Baltes dont la Lettonie son pays qui était depuis 1920, prospère, libre et démocratique. Reprise par les Allemands en 1941 lors de l’opération Barbarossa, à l’automne 1944, Waldheims cherchera à fuir son pays avec sa famille avec l’avancé du front de l’armée Russe ( aidé de chars d'assaut, de camions et de munitions Américaines) sur celui des Allemands qui se replient progressivement à l'extrême ouest de la Lettonie. Après avoir creusé des tranchées sur le front pour l’armée allemande pendant quelques mois où il côtoie la mort quotidiennement, il lui est permis de sortir de la Lettonie avec un groupe de familles. À la fin de décembre 1944, ils s’embarqueront sur un bateau à Liepaja en direction de la Prusse Orientale (Koenigsberg). Lors de cette traversée, le bateau manque de couler à pic sous le poids d’une pluie verglassante qui fait s’accumuler sur les superstructures du navire d’immenses amoncellements de glaces. Tout le monde est mis à contribution pour casser la glace et sauver le navire du péril qui le guette. Rendu à destinations, ils prirent un train pour se rendre dans la région des Sudètes en Tchécoslovaquie qui était occupé par les Allemand. Il y travaillera comme bûcheron jusqu'à la fin de la guerre en mai 1945. 

Ils se retrouvent donc dans un camp de réfugiés à Bamberg au sud de l’Allemagne jusqu’en 1949. Sa femme le quitte avec ses deux enfants la même année pour aller vivre aux USA dans la région de Chicago. Lui, il se rend en France, à Paris, avec Janis Rosberg un ami de longue date pour refaire leurs vies. Mais la vie est dure et tout coûte cher. Rosberg quitte la France pour aller rejoindre son beau frère vivant au  Canada (Ottawa) et une fois rendu, il lui fait l’éloge de son nouveau pays d’adoption et l’invite à venir le rejoindre. En février 1952, Waldheims décide de tenter sa chance à son tour au Canada et laisse temporairement derrière lui sa nouvelle compagne Bernadette Pekss qui est d’origine lettone et qui a connue aussi les affres de la guerre. Son mari était sorti de prison en 1950 après cinq ans de détention suite à la bataille de Stalingrad où les Allemands avaient perdu. Elle l’avait attendu dans l’espoir de se retrouver un jour, mais les circonstances firent que ce ne fut pas possible. Elle ne voulait pas retourner vivre en Lettonie communiste, ni lui capable de sortir de derrière le rideau de fer. Constatant cet état de fait, il se remariera avec une autre et Bernadette ira rejoindre Waldheims l’année suivante soit en mai 1953. Ils s'installeront pour toujours à Montréal sur la rue Coloniale dans le cartier St-Louis. Cette femme - exceptionnellement courageuse - que fut Bernadette Pekss, viendra à  jouer un rôle capital dans la réalisation du rêve de Waldheims quand entre 1962 et 1972 elle le fit vivre. C’est elle en effet qui le supportera pendant dix longues années, période à laquelle Waldheims cherchera à théoriser ses idées dans ce qui deviendra "La Géométrisation de la Pensée Exhaustive", son œuvre magistrale qui a pour but d’expliquer ses idées et illustrer graphiquement des concepts abstraits pour réveiller la conscience au problème de la langue et du processus de pensée. 

LA GÉNÈSE D’UNE DÉMARCHE INCERTAINE

C'est dans l’absurdité d’un monde dans lequel il se retrouve en 1945 à la fin de la seconde guerre mondiale que commence vraiment la longue quête intellectuelle de Zanis Waldheims. Son but  était de comprendre qu’est ce qui avait bien pu se passer dans la tête des dirigeants politiques pour céder aux communistes des pays libres, riches et démocratiques avant la guerre. Deux événements majeurs perturbent cette âme fondamentalement humaniste et honnête. Il y eu d'abord en février 1945, les accords de Ialta en Crimée où les "alliées occidentaux" (F.D.Roosevelt des États Unis, W.Churchill de la Grande Bretagne) dans leurs négociations, cèdent  aux communistes de Moscou (Staline en personne), des pays de l’Europe de l’Est antérieurement prospères, libres et démocratiques; parmi ceux-ci son petit pays la Lettonie qui compte environ deux millions  cinq cent milles âmes. Suivra ensuite le procès de Nuremberg entre  novembre 1945 et  octobre 1946 où la présence des alliés communistes - comme partie prenante dans le jugement des généraux  du régime naziste défait – lui apparaît comme inconcevable du fait des antécédents criminels et de la dictature politique et idéologique qui règne en URSS depuis la Révolution d’Octobre1917.

Dans sa vie de couple, son mariage se désagrège car sa femme lui est infidèle. Ils étouffaient dans le camp de réfugiés de l’UNRRA (United Nation Relief and Rappatriation Administration) où ils vivaient à Bamberg en Allemagne fédérale, camp infesté par la corruption menée par d’anciens nazis et des communistes qui étaient passés à travers les mailles du système sans se faire repérer et qui semaient l'intimidation dans ces camps de réfugiées. Waldheims est sans emploi et incapable pour toujours de pratiquer le droit dont il vient à peine de terminer le baccalauréat à Riga en Lettonie au printemps 1944 mais dont il n’avait put avoir le diplôme qu’il cherchera à avoir en vain. Dans l'atmosphère chaotique de l'après guerre où tous cherchaient à reconstruire un pays, sa vie est détruite et ses espoirs de pratiquer le droit réduit à néant. Ce contexte devient une terre fertile à la révolte. Mais sa révolte ne sera pas noyée dans l’alcool comme pour son ami d’enfance Rosberg, ou de vengeance physique mais elle le mènera sur les sentiers de la pensée.

Comment ne pas être révolté face à l'orientation qu’avaient prise les alliés dans la reconstruction de l’Europe après la seconde guerre ? Selon lui, les Occidentaux auraient dû annuler les traités que les Nazis avaient conclu avec les Russes et forcer pour rétablir les démocraties dans les pays Baltes comme en Lettonie et pour les autres pays de l’Europe de l’Est (Pologne, Roumanie, Yougoslavie, Ukraine, Bulgarie, Hongrois etc.) au lieu des enchaîner au régime communiste comme ils l’ont fait. Pour lui et pour de nombreux Européens, qui avaient vécu ou connu le communisme de près ou de loin, c’était d’abandonner des millions de gens à l’incarnation du mal, du mensonge et du vice institutionnalisé par une bande de véritables truands; les êtres les plus menteurs, les plus vils qui pouvaient exister sur cette terre. N’avaient-ils pas déjà montrés à la face du monde de quelles horreurs ils étaient capables. La famine provoquée en Ukraine à l’hiver 1932-1933 qui avait fait sept millions de morts, les goulags qui ont fait proportionnellement plusieurs dizaines de millions de morts et qui étaient synonymes de camps d'extermination par le travail; les exécutions sommaires, les déportations, la criminalité, enfin tout ce qui est contre les droits de l'homme et qu’un dictateur comme Staline pouvait imposer à des peuples dirigés par des criminels.  Il était révolté de constater que l’URSS avait un droit de véto à l’ONU.

Il les connaissait très biens, d’autant plus que le frère de sa mère Pauline était un intellectuel letton de la première heure révolutionnaire en Lettonie. Son oncle avait été dans le giron immédiat des révolutionnaires communistes lors de la révolution d’octobre 1917 en Russie. Cet oncle avait été dans l’entourage immédiat des idéologues du parti communiste comme Trotski et des autres dirigeants comme Lénine, Staline, ces idéologues de la dictature du prolétariat. Ce même oncle fut emprisonné par Staline lui-même en 1938 lors d’une des ses purges paranoïaques (Voir Archipel du Goulag tome II, page 251). Il en sortira miraculeusement en 1939 pour aller commander des groupes d'hommes chargés de  terroriser  ses anciens compatriotes lettons et participer aux déportations massives de récalcitrants pour les envoyer dans les goulags sibériens. Zanis avait même eu l’occasion de rencontrer son oncle communiste alors qu’il rendait visite à sa mère à Riga. Waldheims connaissait donc très bien les us et coutumes de ces criminels devenus soudains avec leurs mains sales, les alliés des occidentaux pour juger du sort de centaines de millions de gens. Waldheims avait vu les trains remplis de lettons  pour leur voyage de non retour vers les goulags sibériens. Bernadette Pekss sa compatriote lettone qu’il avait rencontré à Paris et dont ils s’était épris, avait vu elle aussi ces trains de la mort et elle en avait eu la peur de sa vie, tant la peur de subir le même sort guettait toutes les populations des pays occupés par les communistes.

N’était-ce pas à cause des « belles idéologies » reposant sur le pouvoir des mots que les communistes avaient fait plonger le monde dans une telle enfer. « Luttes des classes », « dictature du prolétariat », « matérialisme dialectique » et bien d’autres expressions du même genre gonflait l’imaginaire des prolétaires. Ces expression étaient à la mode pour leurrer les esprits des classes populaires illettrés et pauvres en rage contre le Tsar et l’ordre établi. C’était toutes des expressions inspirées par Karl Marx, Engels et bien d’autres idéologues utopistes comme le furent selon lui Lénine, Staline, Trotski voire son oncle Janis quand ils ont installé leur système de terreur systématique dans le but ultime de gouverner un jour sur toute la planète. C’était des expressions pleines de promesses, mais vide de sens et pleine de sang et de rage contre l’humanité libre qui devait se plier à la nouvelle idéologie de la lutte des classes. Le communisme voulait s’imposer au monde entier par la force et imposer au monde libre leur nouveau dieu, leur messianisme « dialectique » en marche vers « le progrès » et selon le dicta de l’"intelligencia" communiste qui s’avéra 70 ans plus tard, une pure catastrophe et des centaines de millions de morts. 

Les théories utopiques du marxisme-léninisme avaient, avec ces  mêmes mots, séduit la pensée de milliers de personnes hommes et femmes, d’intellectuels givrés prêts à tout pour appliquer les règles de cette idéologie politique  et messianique. Son oncle avait abandonné sa femme et ses enfants, pour s'investir corps et âme dans cette nouvelle idéologie de la dictature du prolétariat, cette idéologie de la haine et de la lutte des classes. Dans une autre monstruosité, l'idéologie naziste du Lebens-Raum, n’avait-elle pas fait plonger l’Europe  dans une guerre atroce, tout en exterminant six millions de Juifs. Que  dire de la dictature communiste chinoise qui aurait fait proportionnellement énormément plus de victimes. Quel désastre pour l’humanité et la pensée dite « civilisée ». 

Pour Waldheims, l’alliance que les Occidentaux avaient fait avec le régime Communistes, était un crime contre l’humanité et l’aliénation de deux milles ans de civilisation, un préjudice sérieux contre les valeurs humaines et par la même occasions la ridiculisation des principes des droits de l’homme acquis au prix de grands sacrifices dans l’histoire de l’humanité. À ses yeux,  les Occidentaux avaient avili les valeurs de base des sociétés libres et démocratiques qui faisaient de l’Occident le phare d’une pensée, qui se voulait elle aussi universelle. 

Ce qui était le plus révoltant pour Zanis Waldheims, c’est que les grands dirigeants américains n'étaient pas conséquents avec leur propre histoire et les valeurs qu’ils défendaient comme la liberté et la démocratie en Amérique. Ces Américains qui se disaient le peuple le plus chrétien de la planète par le nombre record de confessions religieuses divers dans leur pays, ce peuple si fiers de sa Constitutions, de sa Déclaration d’Indépendance » de 1776, de même que le « Bill of Wrights » semblaient tracer la voie aux idéaux des grands principes démocratiques pour les sociétés futures en voie du progrès, voire un exemple à suivre. Mais non, c’était le contraire, la perte des repères de la civilisation. Ils avaient aussi oubliés les idéaux de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen issu de la révolution française en 1789, qui elle aussi avait formulé des grands principes universels de liberté, d’égalité et fraternité. Tout cela, mis de coté par la création d'une alliance avec des criminels politiques.

Quel désastre pour la civilisation. Ces « irresponsables politiques » tracèrent le destin de la planète, lançant par la même irresponsabilité la plus grande course aux armements de l’histoire, course qui conduisit à ce que les historiens nommeront «La Guerre froide», une guerre où les deux principaux protagonistes, les États-Unis et l'Union Soviétique, ont englouti des masses considérables de leur produit national brut en armement au grand plaisir des complexes militaro-industriels et des vendeurs d’armes de destruction massive entassées un peu partout sur la planète. 

Cette situation géopolitique perturbe profondément un Zanis Waldheims déraciné. C'est dans cette période trouble que s'accentue la certitude, qu’il y a quelque chose qui ne vas pas dans le raisonnement ou  le fonctionnement de la pensée humaine quand il s’agit de juger des choses qui ont trait à la destiné humaine; que le fonctionnement de la pensée et de son processus sont erratiques d’une certaine manière pour générer à une si grande échelle de tels conséquences néfastes pour l’humanité. Faisant « table rase », il remet alors en question tous ses préceptes moraux, sociaux, religieux et philosophiques. Dans son désespoir, il a l'impression que l’humanité tout entière est en péril si rien n’est fait pour contrer cette déchéance de la pensée humaine, que le seuil de non-retour est presque atteint tant les signes extérieurs laissent présager des catastrophes encore plus funestes. Cette inquiétude du futur était d’ailleurs partagé par plusieurs millions d’Européens et de personne à travers le monde libre tant le communisme se répandait comme une traînée de poudre et qu’il semait la peur chez les populations des pays libres.  

L’Europe libre est alors difficilement accessible pour des émigrants pauvres et sans le sou. Tout coûtait extrêmement cher. Waldheims vit seul dans une petite chambre rue Joseph Maistre dans le XVIII arrondissement à Paris. Son ami d’enfance Zanis Rosberg ayant émigré au Canada, l'invite à venir le rejoindre. Il décide donc de tenter sa chance à son tour et en février 1952, il s’embarque à bord d’un bateau passager et traverse l’Atlantique à destination d’Halifax. Aussitôt arrivé au Canada, il se rend à Ottawa par train et essai de faire divers petits emplois spécialisés dans le domaine de la métallurgie. Étant remercié de ses services, il quitte Ottawa avec Rosberg son ami d’enfance et ils se retrouvent un travail à Montréal dans un entrepôt de transfert de matériel en vrac. Ce travail jouera d’ailleurs un rôle important durant une certaine période de sa vie car il pouvait jouir de beaucoup de temps libre qu’il utilisait pour lire. Il y travaillera pendant dix ans et s'attaqua sans plus tarder à son projet d’investigation de la pensée humaine et fait le serment, que coûte que coûte, il ne dérogerait jamais de son but final, celui de comprendre la déraison humaine. En juin 1953,  Bernadette Pekss qu ‘il avait rencontré à Paris vient le rejoindre à Montréal. 

Travaillant physiquement très fort le jour à l’entrepôt de transfert de matériaux en vrac, c'est avec un dos arqué par la douleur que Waldheims entreprend avec acharnement son projet de recherche sur les causes de ces désastres humanitaires et de ce qu’il qualifie de dépravation de la pensée humaine et des valeurs universelles.  Quelles en sont les causes ? Dans le but de ne pas se mettre indûment de la pression, il laisse à son intuition toute la latitude nécessaire de trouver quelque chose qui viendrait clarifier son intellect et le réconcilier avec la vie. Vivant sur la rue Coloniale dans le quartier St-Louis à Montréal, il s'inscrit à la bibliothèque de la ville qui est à peine à dix minutes de marche de chez lui. C'est le départ d'une recherche dans toutes les sphères de la connaissance humaine. Tout ce qu’il lit est lu avec un œil extrêmement critique et attentif. Lire pour lui, n’est pas un loisir sauf pour la grande littérature, mais un travail de défrichement, de prise de connaissance, d’éducation. Tout l'histoire des grandes civilisations y passe : l’Égypte, la Grèce, Rome, Moyen Âge, Européenne, Chinoise, Indoue etc. Les domaines comme la psychologie, la philosophie, la sociologie, l'éducation, la linguistique, la cybernétique, les sciences, la mathématique, la géométrie, les arts, la littérature française et européenne sont passés à la loupe. Waldheims exulte. 

C’est la découverte de centaines d'auteurs populaires et non populaires qui deviendront avec le temps ses amis, ses intimes. Michelet, Bury, Jung, Freud, Cuvilier, Rousseau, Aristote, Cicéron, Bergson, Bachelard, Chomsky, Platon, Kant, Hegel, Husserl, Cassirer, Russel pour ne citer que ceux-là. Leurs idées, leurs réflexions viennent à ne plus avoir de secret pour lui. Il consigne dans ses cahiers de recherches toutes les grandes citations de ces penseurs qui lui serviront plus tard d’exemple pour étayer ses idées. 

Il dévore avec frénésie la littérature française et européenne (Victor Hugo, Balzac, Châteaubriant, Zola, Ibsen, Ortéga I Gasset, Pasternac, etc.). Il n'hésite pas à mettre en parallèle au génie de Goethe, celui d’Anatole France qu’il adore. Il lit Marx, Engels et les écrits des nouveaux idéologues marxistes qui enseignent dans les universités, ce qui est pour lui un réel dégoût tant ces nouveaux penseurs ne savent pas de quoi ils parlent parce qu’ils n’ont jamais vécu ou connu le communisme stalinien. Pour lui, l’humanisme français est la grande idée, un idéal, tandis qu’il fustige les politiques américaines et britanniques qu’il trouve trop porté sur le mercantilisme pur et dur.


Tout jeune adolescent, Waldheims a un talent artistique incontestable pour  le portrait. Il y excelle à un point tel qu’un de ses maîtres à la petite école, lui fait rencontrer un grand peintre letton pour lui recommander comme élève. Vivant dans la pauvreté totale, presque de famine, les parents Waldheims ne peuvent lui payer les cours nécessaires à une formation artistique. Il gardera toujours le goût et l'intérêt pour l’art et surtout le dessin. Au cours de ses très nombreuses lectures, il est fasciné par le contenu d'un petit bouquin sur la vie et les idées du philosophe français Maine de Biran (1766-1824) qui traite de l’idée d’une carte pour l’orientation humaine. Cette idée piquera sa curiosité et initiera dans sa pensée une quête visant à découvrir comment il est possible de réaliser cette carte pour l’orientation humaine. 

En lisant divers ouvrages, il commence à faire ici et là dans les marges des livres, des graffitis puis des petits signes géométriques qui vont évoluer très rapidement dans un langage symbolique, où le  carré, le cercle, le losange, les coordonnées x y z etc. deviendront progressivement un outil abstrait pour explorer les livres et la pensée. 

Progressivement, sur une période d’environ 10 ans, soit entre 1952 et 1962, Waldheims développera son langage abstrait et conceptualisera ses idées sur comment s’orienter dans les abstractions, c’est à dire qu’il peut illustrer des concepts abstraits à partir d’un dessin tracé avec des lignes, des cercles, des diagonales. C’est donc dire qu’il a trouvé «  une sorte de langage des langages » pour pénétrer, disséquer, étudier les idées de ceux qui écrivent et qui prétendent être capables de décrire le phénomène humain. Son système d’analyse interroge non seulement le cognitif, mais également la conscience pour savoir si l’auteur a des vues intellectuelles universalistes, ou au contraire, particulières quand il traite du phénomène humain et de la civilisation; en d’autres mots : savoir si l’auteur pense inclusivement ou exclusivement.

C’est dans cette période là, que se situe sa plus grande découverte intellectuelle, la concrétisation de cette «carte pour l’orientation humaine » proposée par Maine de Biran. Le mot pour exprimer une idée ou un concept; la forme pour l’illustrer, tel allait être son leitmotive dorénavant et une prise ferme sur  la volatilité des mots qui créent la confusion dans les idées, parce que les mots ont tendances à se retirer (M.Heidegger). Progressivement se développera ses idées philosophiques sur « le particulier et l’universel » et  la formation des « unités de sens » c’est à dire la formation de groupes de trois mots pour caractériser des concepts. 

Il est d’avis que c'est surtout au niveau intellectuel que tout se gâte, parce que les mots ne disent pas tout et les gens tendent à penser unilatéralement,  c’est à dire  formellement ou à « tiers exclu »: si c’est blanc, c’est pas noir ou vice versa; si lui est bon, donc l’autre est mauvais;  une pensée où il n’y a pas de place pour la conciliation ou l’harmonisation des idées. C’est un monde où si c’est vrai, ce n'est pas faux. Selon lui les mots sont  prêts à engloutir l’humanité entière dans le chaos pour s’imposer, il en est le plus convaincu et prêt à mettre tous les efforts pour mettre un terme à l’errance de la pensée humaine avec ses dessins géométriques qui illustrent et expliquent les composantes de la pensée humaine. 

Pour Waldheims, la succession des mots et des phrases n’offre pas la possibilité pour l’intellect de représenter ou de saisir l’objet de la connaissance comme peut le faire la pensée sur la surface,  c’est à dire que le dessin vient illustrer le concept, du moins est-il possible d’en fixer les limites, d’en avoir au moins un prise abstraite.  

En 1962, étant arrivé à une certaine maturité intellectuelle dans son travail de recherche et à un certain calme intérieur après les traumatismes causée par la guerre ( cauchemar récurent, angoisse, insécurité), Waldheims décide de quitter son emploi et de poursuivre – à temps plein – sa recherche pour l’amener à un autre niveau d’intelligibilité. Il veut maintenant expliquer ses idées dans une théorie; il veut montrer comment fonctionne son modèle de «la géométrisation de la pensée exhaustive». Pour arriver à ce but, il souhaite s’y consacrer à plein temps, du moins pour une certaine période. Il quitte donc son emploi.

Les sacrifices de la première période de dix ans (1952-1962) n’étaient rien comparé à ce qu’ils étaient pour vivre lui et sa compagne pour les dix années suivantes (1962-1972). Bernadette Pekss, cette femme extraordinaire, sera durant toutes ces années la seule à apporter - avec son petit salaire de couturière dans des petites manufactures de linge - de quoi manger sur la table et à payer le loyer, les vêtements, les livres de Waldheims, son matériel « d’artiste », etcetera. Les prédictions de Waldheims  qu’il réussirait à théoriser sa pensée dans un temps assez court ne se réaliseront pas, car il lui faudra presque dix années consécutives pour arriver à quelque chose de concret dans ce domaine, tant est grande la complexité d’expliquer avec des mots sa manière d’approcher la connaissance. Il veut expliquer comment passer du linéaire au simultané, de l’abstraction linguistique à l’abstraction géométrique.

Son existence sociale est en complète contradiction avec ses compatriotes Lettons, travaillant pour payer le pain et le beurre pour leurs familles. Tandis que Waldheims à l’âge de cinquante deux ans jouait à la Roulette Russe et se lâchait dans le vide d’une idée folle que personne avant lui n'avait eu, ses compatriotes bossaient dur au travail quotidien. Lui il voulait fermement expliquer comment fonctionne ses idées pour sauver le monde du chaos et du déraisonnement. Il voulait de plus développer ses idées philosophiques pour éveiller la conscience humaine à la barrière du langage et de la pensée particulière en contraste avec la pensée universelle et inclusive. 

Cette période de dix ans fut la plus difficile de sa vie, aussi pour Bernadette parce qu’elle devait le supporter sur plusieurs plans à la foi. Bernadette souffrait d’asthme nerveux, ce qui rendait la situation parfois difficile à vivre, remettant souvent en question la poursuite de son projet de longue haleine. Bernadette souffrait également sur le plan affectif parce qu’elle était rejetée des membres de sa famille qu’elle avait aidé à immigrer à Montréal en 1954.  Son frère, qui était prêtre catholique, lui reprochait de vivre dans le péché parce qu’ils n’étaient pas mariés ensembles et que leurs conjoints respectifs étaient encore vivants, aussi parce qu’elle faisait vivre un « lâche », un inutile, un éberlué. Socialement à cette époque, c’était très mal vu de vivre en couple sans être marié. Bernadette était une personne qui pratiquait sa foi et elle souffrait des remords de conscience et de la persécution de son frère et du rejet de certains membres de sa famille. Waldheims en appel jusqu’au pape pour faire annuler le premier mariage de Bernadette, considérant que les événements de l’après guerre et le communisme avaient perturbé l’ordre mondial et que ce n’était pas à eux d’en payer le prix ou d’être moralisé par quiconque a des scrupules religieux  ou sociaux voire aucune compassion. À l’inverse et ironiquement, était-il raisonnable de demander à une femme de retourner vivre avec son mari prisonnier derrière le rideau de fer dans un pays communiste et athée. Cette tension entre lui et son beau frère durera jusqu’en mars 1993, trois mois avant qu’il ne meure d’un cancer.

Pour Waldheims dans son ermitage de la rue Coloniale, ce fut dix ans de questionnement sans personne pour le seconder intellectuellement dans sa recherche, ni personne avec qui échanger sur la profondeur et le sens de ses idées profondes sur l’abstraction géométrique. Sa vie est stoïque voire monastique presque. Son seul compagnon, c’est son vieux copain Rosberg, alcoolique invétéré, épris de belles phrases et de poésie. Son seul compagnon, c’est aussi son journal intime dans lequel il pouvait décharger les grandes lignes de ses idées et consigner ses humeurs intellectuelles, mais aussi y déverser ses grandes joies intellectuelles qui ne venaient qu’au compte goutte tant les grandes mystères ne se dévoilent que très très lentement. À part les journaux et les livres qu’il achète sur les dernières tendances intellectuelles voire la télévision québécoise, il vit en vase clos avec l’espoir de percer un jour avec ses idées sur la pensée sur la surface. 

Tel un ermite, tel un individualiste extrême, ils ne lâchent pas son serment d’aller de l’avant avec ses idées quoi qu’il advienne. Pour oublier sa misère matérielle et ses périodes de très grands découragements, il travaille avec acharnement tous les jours et toutes les fins de semaines. Le travail pour lui, c’est son seul salut. Bernadette le supportera toutes ces années sans lui faire le moindre reproche. Cette femme extraordinaire est elle même une bonne artiste. Aux cours de peinture donnés par son syndicat à la manufacture, elle copie tellement bien les peintres Impressionnistes Français que son professeur lui achète ses toiles pour les exposer et les revendre. Jeune Bernadette avait eu une formation artistique avant de devenir la ménagère de son frère prête qui l’avait aidé dans sa formation. Elle aimait la peinture et son premier mari était peintre. Elle peignait tellement bien que son premier mari lui interdisait de peindre. Elle écrivait aussi des poèmes dans le pur style Letton. Bernadette était une personne raffinée, toujours souriante et affable, respectueuse des autres et debout devant sa foi malgré son compagnon athée pour la plus grande partie de sa vie. Leur courage et leur détermination sont à l’exemple de ce peuple Letton, qui grâce à ses profondes traditions et à ses valeurs humaines, a survécu à huit cents ans d’occupation, tantôt venant des Chevaliers Teutons Allemands, tantôt venant des hommes du nord, finalement venant des slaves Russes avec leur politique de russification intensive commencée au début du siècle et reprise avec acharnement avec les communistes de Moscou. 

Malgré tous les aléas de cette vie inhabituelle pleine de sacrifices partagés ensembles,  le 28 octobre 1970 après plus de vingt ans de travail, Zanis Waldheims, dépose à Ottawa, une demande de droit d’auteur pour sa théorie intitulée « La Géométrisation de la Pensée Exhaustive ». Il reçoit de ce bureau un numéro d’enregistrement en tant qu’œuvre littéraire non publiée. Sa théorie représente son travail magistral soit deux cent vingt-neuf pages en trois sections dans lesquelles il développe les idées qui forment sa théorie sur l’abstraction géométrique et ses idées sur l’extension, l’intensité et du moyen terme. Il y décrit – dans un français dont la syntaxe laisse à désirer - son approche de la géométrie et  la différence de perspective intellectuelle qu’il y a entre l’approche euclidienne sur le carré,  versus la sienne de la pensée sur la surface qui selon lui sont deux manières différentes d’approcher l’objet de la connaissance et de l’action. Il dévoile aussi d’autres conclusions importantes sur la manière de s’orienter dans le langage. Dans la dernière section, il illustre méthodiquement à l'aide de trois-cent-quatorze figures géométriques, son univers abstrait étayés par les citations des auteurs qu’il a lu depuis de nombreuses années. Inutile de dire que ses idées ainsi que sa théorie restèrent complètement énigmatique dans l'esprit de  ceux qui essayèrent de comprendre quelque chose d’aussi abstrait et d'aussi avant-gardiste. Mais pour lui, c’est une étape importante.

LA DIMENSION ARTISTIQUE

Alors qu’il ne savait pas du tout au début de sa recherche en 1952 quelle en serait l’issue finale (il pensait que ce serait un roman à caractère moralisant), la petite étincelle qui fut initiée par les réflexions du philosophe français Maine de Biran,  le mena dans des sentiers qui lui ouvrirent de grandes horizons intellectuelles. Des graffitis griffonnées dans les marges des livres du début, les signes géométriques devinrent de plus en plus élaborés tant dans leur complexité que dans leur taille. Les petits signes dans les marges des livres ne pouvaient donc plus contenir les explications qu’il y inscrivait. Ces signes géométriques devinrent bientôt des figures géométriques explicites aux allures et aux significations de plus en plus élaborées. Tout en prenant  une dimension esthétique plus développée, il  comprit bientôt qu’il était sorti du domaine de l’écriture et de la logique linéaire ou formelle et qu’il était entré dans le domaine de l’art et de la représentation visuelle voire de la pensée sur la surface. Il sentit qu’il touchait à quelque chose de fondamentale dans la pensée et des idées voire du langage lui-même. Avait-il trouvé une manière « scientifique » pour étudier la pensée et les idées, voire toucher de près la manière de raisonner, percer certains secrets de la philosophie ?  De six dessins par page dans un format lettre au début, il passe à quatre, puis à un seul dessin par page. Puis il adopte le format onze pouces sur dix-sept (297 x 419 mm). Il ajoute ensuite de la couleur à ses compositions ce qui leur donne une nouvelle dimension esthétique et une ré-interprétation, car la couleur touche l’œil, l’âme et la sensibilité. À partir du moment où la couleur entre dans ses œuvres, il adopte le carton rigide grand format dont on a aujourd’hui la collection complète.  

Quelle joie pour lui maintenant de pouvoir donner libre cours à sa pensée abstraite et à sa créativité, à sa curiosité et son sens du jugement et de l’analyse et être capable d’exprimer dans ses compositions – après tant d’années de frustration et de questionnement – son univers abstrait illustrant plusieurs concepts philosophiques ou psychologiques jusque-là énoncés par les grands chercheurs que sous une forme linéaire et syntaxique. Ses nombreux dessins illustrent les concepts mis de l'avant dans sa théorie entre 1962 et 1972. Ainsi dans ses compositions - toutes basées sur le carré qui en est la limite –  une cartographie de l’intellect  se construisit peu à peu où le gauche, le droit, le haut, le bas, les diagonales, les cercles, les losanges, les dégradées de couleurs, le différents plans en somme l’organisation du dessin – vint à avoir un sens, une signification, une relation entre le concept abstrait venant des mots, et la forme finale qu’est le dessin. Il est donc possible de reconnaître au travers de son oeuvre – dessin après dessin – des similitudes, des variations et des trilogies.

Avec comme simple support des cartons rigides grands formats de qualités artistique et comme médium - de simples crayons de couleur en bois (Prismacolor, Faber Castell) - il donne libre cour à ses recherches et dans la production des formes qui sont d’une symétrie parfaite. Ne disposant que d’une seule pièce dans son appartement de quatre pièces et demi, il ne pouvait pas produire de grandes œuvres comme certains artistes et c’est  sur un calibre de production à partir de carton de 600X900 mm qui était proportionnel à l’espace dont il disposait, qu’il fit la totalité de sa production artistique. Presque toutes ses œuvres font 600 X 600 mm carrés. Il abandonna assez rapidement l’idée de faire ses œuvres avec de la peinture sur toile parce que c’était moins pratique et moins rapide d’exécution. Il ne s’est jamais défini comme un artiste ou un peintre, mais un chercheur dans les abstractions, et son médium c’était la géométrie et le crayon de couleur.

Toute la création artistique de Waldheims, au travers des 600 oeuvres originales qu'il produisit entre 1963 et 1988, est orientée vers la représentation graphique d'idées tirées des livres qu’il lisait, mais aussi dans une intention philosophique et éthique, l’illustration d’un "idéal" visant un équilibre des termes comme extension, intensité, intégration, en rapport avec l’agir et le cognitif humain, de telle sorte que ses dessins sont l’illustration de cet équilibre entre le beau et le vrai. Son univers abstrait peut donc être suivi comme dans un livre, page après page à travers les six cent soixante dessins qui représentent la  production complète et l’œuvre d’une vie. Il n’a jamais voulu vendre ses œuvres non plus, car elles formaient pour lui un tout.

Dans les années 80, sous l’initiative de Yves Jeanson qu’il avait rencontré dans son milieu de travail,  il explore une autre dimension artistique intéressante, celle de reproduire en trois dimensions certains de ses  dessins. À partir d'un nouveau médium, le"styromousse", ils produisent ensemble une cinquantaine de prototype de sculptures d’environ 500 mm x 500 mm x 500 mm, et une dizaine de bas-reliefs en poly-styrène qui font environ 600 mm x 600 mm.

En février 1976, sous le patronage de Yves Jeanson, Waldheims expose pour la première fois de sa vie une centaine de ses œuvres à la Bibliothèque Municipale de la ville de Lachine. Quel plaisir il éprouva et quel spectacle ce fut pour lui de voir ses œuvres dans une belle salle d’exposition et des articles pour la première fois dans le journal local. En novembre 1981, encore sous le patronage de Yves Jeanson, il expose dans une école primaire de la ville de Mont Saint-Hilaire une autre série de dessins mais aussi des sculptures. Les enfants sont excités et curieux, ils cherchent à comprendre ce dont ils ont devant les yeux et sont capables de comprendre que la sculpture vient du dessin. Waldheims trouve l’expérience enrichissante. En 1983, sous le patronage d’une enseignante au Collège Jean de Brébeuf à Montréal, qui donnait des conférences culturelles pour les gens âgées, il expose plus de deux cents tableaux et une cinquantaine de sculptures. L’exposition est un franc succès. Les étudiants sont réceptifs aux idées philosophiques émises dans un petit livret qui leur est destiné. En 1992, encore sous l’initiative de Yves Jeanson, il accepte de participer à une exposition préparée par une ethnologue sur « l’art brut » qui se tint en deux phases; une première à la Maison de la Culture Frontenac de la ville de Montréal et dans une deuxième phase au Musée de Lachine. C’est vraiment un succès, même si Waldheims n’aime pas se trouver parmi tous ces artistes « d’art brut » qui faisait contraste avec leurs tableaux d’art naïfs ou des miniatures de  camions ou de gadgets fait par des bricoleurs devenus pour l’occasion des artistes. Waldheims fait même une conférence et y explique ses idées.

Note : Plusieurs personnes qui ont vu l’œuvre de Waldheims ont injustement conclus que c'était du plagia sur le travail artistique du Hongrois Victor Vasarely. Ce dernier est le père du OP ART et Waldheims admirait grandement l’œuvre de cet artiste. Dans ses créations Vasarelly cherchait avant tout à créer un effet visuel tridimensionnel pour capter principalement l'attention de l'œil et de l’imagination. Il ne cherchait pas à associer à ses créations, un signifié abstrait comme le fait Waldheims. Utilisant le même médium, c'est-à-dire la géométrie, il est donc évident qu'il y ait cette - méprise - de la part de ceux qui y voient du plagia. Mais dirions-nous que Braque plagiait Picasso ou vice versa. Pourtant beaucoup des œuvres de ces deux artistes se ressemblent à s’y méprendre et cette remarque s’applique à tous les courants artistiques. 

Qui dit géométrie, dit lignes, figures, courbes et la couleur vient donner une valeur esthétique additionnelle aux oeuvres. Si ces deux êtres s'étaient rencontrés, certainement qu'ils auraient eu un échange des plus intéressants, car ils aimaient tous les deux la géométrie qui leur permettait d'exprimer leur sensibilité. Cet échange aurait certainement marqué Vasarelly, à savoir qu'il était possible – dorénavant - de donner un signifié aux formes géométriques et ainsi explorer – à partir d'une certaine approche - le monde abstrait des idées, du langage et de la pensée voire de toucher - au codex - du raisonnement humain.  

Les formats des œuvres de Vasarelly étaient à très grande échelle, tandis que celles de Waldheims sont de petit format et ne font en moyenne que 600mm X 600mm.  À grande échelle, plusieurs dessins de Waldheims auraient rivalisé en effet visuel avec ceux de Vasarely ou encore de son fils Jean Pierre qui à toute fin pratique a suivi les traces de son père. Chez  Waldheims il y a aussi des effets de profondeurs, ils sont aigus et tranchants voire parfois vertigineux. Vasarely aurait été encore plus fasciné de savoir que les œuvres de Waldheims pouvaient être transformés en sculptures, dont il existe une cinquantaine de prototypes. Leurs œuvres se ressemblent mais les fondements sont différents. 

L'œuvre de Waldheims reste donc à découvrir dans toute sa spontanéité et pour ceux qui y voient – trop rapidement – un plagia, s'ils se donnent la peine de creuser un peu, ils constateront à leur grande surprise, l'originalité de ce penseur et artiste ainsi que la richesse de son travail pas unique dans les anales de l'histoire de l'art,  mais totalement unique dans l’histoire de la philosophie.

LA RENCONTRE DE YVES JEANSON

À partir de 1972, Waldheims qui est alors âgé de 63 ans, décide de retourner sur le marché du travail pour se préparer une petite retraite. Par l'entremise d’un ami letton, il se déniche un emploi de commissionnaire au trie et à la livraison du courrier interne dans une compagnie de construction oeuvrant dans le domaine électrique industriel et de construction navale. Ce travail le comble. Il y travaillera pendant quatre années. 

À l’été 1974, il fait la connaissance dans son milieu de travail, d'un jeune technicien fraîchement sorti de l’Institut de Marine de Rimouski qui travaille pour la même compagnie comme apprenti à la conception de systèmes électriques adaptés au domaine de la marine. Il n'a que 23 ans. Jeanson est intrigué par ce personnage dont son patron lui a parlé. Il apprend que ce personnage est un artiste et un philosophe, mais qu'il ne vend pas ses œuvres et que ses idées – intéressantes - sont difficiles à comprendre. Intriguant ! Ayant entrepris un dialogue avec Waldheims, commence une série d’échanges au moment de leur pose du midi où Jeanson viendra peu à peu à le connaître et à voir de ses œuvres dont il avait entendu parlé. Voyant des photos, Jeanson eu la forte intuition, que les dessins qu’il voyait, étaient des genres d’illustrations ou des cartes de la pensée humaine et par conséquent devint une attraction pour son esprit et sa curiosité de pouvoir un jour s’orienter dans le domaine de la philosophie qu’il voyait alors comme hermétique et inaccessible, voire un domaine extrêmement périlleux pour qui risque de s’y aventurer. Il eut le sentiment, qu’il interprétait un dessin technique. Il vint à comprendre à long terme, qu’effectivement, ces dessins étaient des genres de cartes de notre intellect et un outil pour l’orientation dans les idées abstraites. Les dessins colorés composés de lignes droites, des diagonales, etcetera avaient leur signification.


Jusqu’au moment de leur rencontre, hormis quelques intimes  qui n'y comprenaient absolument rien à ses idées et quelques rares intellectuels lettons sympathisants, Waldheims n’avait jamais eu un interlocuteur intéressé à qui présenter systématiquement sa théorie et à confronter ses idées comme envers Jeanson qui était un néophyte en art, en  philosophie et en littérature. Tout rationnel qu'il était, Jeanson était par-dessus tout un pragmatique, c’est à dire qu’il devait y avoir un sens pratique aux concepts énoncés. Au moment de leur rencontre, Jeanson était l'antithèse du penseur philosophe qu’est ou se dit Waldheims. Une certaine curiosité, combiné à un fort intérêt lattent pour les arts et pour la pensée humaine vont servir de catalyseur dans la fusion intellectuelle entre ces deux  êtres si différents tant dans leur cheminement de vie, que dans leur éducation et de leurs valeurs, lui en tant qu’Européen de l’est, Jeanson en tant que nord Américain francophone. Cherchant à comprendre les tenants et aboutissants des idées de Waldheims tout en assimilant toute une panoplie de connaissances, Jeanson  pousse Waldheims à expliquer ses idées, l'obligeant à reprendre chacun des éléments  de sa démarche et de sa théorie afin de les rendre accessibles à celui qui est en voie de devenir son principal admirateur, voire son unique espoir de continuer après lui ses idées. C'est pour Jeanson et pour Waldheims une relation partagée entre l'affection filiale, les questionnements du disciple sur l'art, sur la philosophie, sur la théorie de la géométrisation du langage, les explications parfois obscures du maître, les affrontements suivis des périodes de froid et des retrouvailles. 

À l'âge de  77 ans, à l'invitation de Jeanson, ils s’inscrivent tous les deux à l'Université du Québec à Montréal. Waldheims lui il obtient son baccalauréat en philosophie en 1989 tandis que Jeanson abandonne. Waldheims, tout en recevant un éclairage plus académique des divers courants philosophiques contemporains présente aux enseignants sa manière de voir et de décortiquer les idées des auteurs étudiés. Son approche passe difficilement, tant sa manière de disséquer les idées diffère de ce que les enseignant ont l’habitude d’approcher la connaissance. Alors que certains sont très ouverts à ses idées, d’autres sont complètement fermés 

Cette association avec Jeanson aura durée dix-neuf ans, lorsque le 19 juillet 1993, Zanis Waldheims meurt d'un cancer à l'âge de 83 ans. Il laissait dans le deuil sa fidèle compagne de vie Bernadette Pekss avec qui il avait vécu quarante ans. Sa longue réflexion, sa recherche et sa théorie de «la géométrisation de la pensée exhaustive» demeure inconnue du public et ses idées incomprises sinon que par son unique « disciple et collaborateur » Yves Jeanson.  

Le 23 juin 2002, Bernadette Pekss rendait l'âme à l'âge de 91 ans. Ils sont tous les deux inhumés au même endroit au cimetière de la Côte des Neiges à Montréal. Bernadette Pekss laissa en héritage à Yves Jeanson, tous les livres, les notes, les livres d’esquisses, les écrits de son mari, ainsi que toutes les œuvres.

FIN

Par: Yves Jeanson, 

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Zanis Waldheims (1909-1993)
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